Discours

Séminaire de haut niveau sur le Sahel - Institut Egmont

Séminaire Sahel du 19 juin 2023

Intervention de Hadja Lahbib

Ministre des Affaires étrangères, des Affaires européennes et du Commerce extérieur et des Institutions culturelles fédérales

 

Mesdames et Messieurs,

Avant tout, je tiens à vous souhaiter la bienvenue au SPF Affaires étrangères. Je remercie également l’Institut Egmont pour la préparation et bonne organisation de ce séminaire qui tombe à pic. 

Le moment est opportun car la Belgique s’apprête à adopter sa stratégie intégrée pour le Sahel. Il s’agit pour le gouvernement de décrire pourquoi et comment la Belgique s’engage au Sahel, et avec quels objectifs.

Permettez-moi donc d’aborder ces questions avec vous ce matin.

Les raisons de l’engagement de la Belgique au Sahel sont multiples. L’expansion de l’insécurité, du terrorisme, des trafics criminels et du radicalisme violent menacent la stabilité des Etats sahéliens et certains risquent, dans le pire scénario, un véritable effondrement. Ceci impacte l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, mais également l’Afrique du Nord et le Maghreb. Or, si le voisinage sud de l’Union européenne est concerné, la Belgique l’est aussi.

Au-delà de la stabilité et de la sécurité, la question des migrations irrégulières est également une préoccupation. Si actuellement la migration des pays sahéliens vers la Belgique reste limitée, ils restent une zone de transit importante.

Il y aussi un enjeu qui a pris de l’importance depuis l’invasion russe de l’Ukraine : la promotion des valeurs qui font partie intégrante de nos relations avec les pays du Sahel. Or, dans une zone géographique qui suscite l’intérêt de nombreux acteurs, nous ne souhaitons pas que ces valeurs fassent les frais d’une compétition géopolitique. La promotion de la démocratie et de l’état de droit, du développement durable, de l’égalité des genres, de la dignité humaine sont non seulement dans notre intérêt mais répondent à des appels réguliers de populations sahéliennes désemparées.

Enfin, c’est aussi une région avec laquelle nous avons beaucoup d’affinités notamment culturelles, telle la Francophonie, mais également associatives. J’en veux pour preuve les très nombreux liens humains et interpersonnels qui nous unissent.

Je voudrais à présent aborder la manière dont la Belgique soutient le Sahel.

Vu la complexité des défis, nos instruments se doivent d’être utilisés de manière cohérente et efficace.

C’est pourquoi la présence belge au Sahel rassemble l’ensemble des acteurs et instruments de notre politique étrangère, basée sur une approche globale. Elle était anciennement appelée « 3D », mais nous dépassons désormais largement les domaines de la diplomatie, de la défense et du développement. Par exemple, ENABEL multiplie les programmes, y compris pour le compte de tiers. L’OCAM échange régulièrement avec certains de ses interlocuteurs sahéliens. La police fédérale et le Service public fédéral Justice ont mis à disposition du personnel au profit d’EUCAP Mali. Je citerais aussi la coopération non gouvernementale via laquelle nous soutenons la société civile et les universités.

Cette approche globale implique la coopération de tous les services et acteurs belges actifs au Sahel dans une logique de complémentarité et de spécialisation. 

Je tiens également à mentionner que la Belgique est convaincue que le rôle des femmes dans la stabilisation et le développement du Sahel reste sous-estimé. Nous avons ainsi intégré le Niger, le Mali et le Burkina Faso dans notre 4ème plan d’action national de mise en œuvre de la résolution 1325 du Conseil de sécurité qui porte sur la question des femmes, de la paix et de la sécurité. Par ailleurs, via l’Institut Egmont, un programme de soutien à des femmes leaders au Niger a été initié. C’est un franc succès et nous continuerons dans cette voie.

L’appui belge au Sahel s’inscrit également dans l’action internationale, en particulier celle de l’Union européenne. Mais aussi dans celle des Nations-Unies. Nous participons depuis longtemps  à la MINUSMA. Alors,  vous le savez, son mandat doit être renouvelé avant la fin du mois  et nous estimons que sa présence reste indispensable, malgré les obstacles créés par les autorités maliennes.

Enfin, nous soutenons aussi les initiatives qui visent à coordonner et à mobiliser l’effort international dans d’autres formats. Je mentionnerai à ce titre notre rôle actif au sein de la Coalition anti-Daesh, dont la réunion ministérielle s’est tenue il y a quelques jours à Riyadh.  J’y ai soutenu les travaux du « Africa focus group » créé au sein de la Coalition afin de répondre au mieux aux défis que pose le terrorisme en Afrique et particulièrement au Sahel.

Malgré nos efforts, la situation des Sahéliens s’est globalement dégradée. Depuis 2012, l’instabilité du Mali s’est étendue au-delà de ses frontières. La situation sécuritaire et humanitaire n’a cessé de se détériorer. Des milliers d’écoles au Sahel ont dû fermer leurs portes privant ainsi d’éducation et d’une certaine manière d’avenir, des millions d’enfants. L’engagement international important n’a pas pu empêcher cette évolution dramatique.

Comme le disait Amadou Hampâté Bâ, le grand écrivain malien : « Un morceau de bois a beau rester dans l’eau pendant longtemps, il ne deviendra pas un crocodile ». Notre approche doit donc évoluer si nous voulons d’autres résultats.

Ce changement, ce sont avant tout les jeunes sahéliens qui le réclament. Ils l’expriment aussi en se révoltant, en soutenant des coups d’état, en rejoignant des groupes djihadistes ou en quittant leurs pays.

Ces aspirations sont légitimes, et nous devons mieux les soutenir car elles correspondent souvent aux nôtres : la jeunesse veut se sentir représenter par un Etat, qu’il veut plus présent, plus engagé en terme de bien-être social, de développement, de bonne gouvernance ou encore de consolidation démocratique au-delà des seules élections.

Notre stratégie Sahel, la lutte contre le terrorisme ne pourra être un succès que si l’appel au changement des populations locales est mieux pris en compte à l’avenir. Cette écoute doit aller de pair avec

une appropriation, une responsabilisation des habitants du Sahel. Les populations doivent se sentir soutenue, entendue et prendre leur avenir en main.  

Dans l’immédiat, le respect des délais fixés aux transitions au Mali et au Burkina doivent être tenus. Il faudra que les militaires tiennent leur parole et cèdent le pouvoir : rien ne peut justifier une rupture de l’engagement de ne pas se présenter comme candidat.

La Belgique estime que son engagement au Mali, ainsi que celui de  l’UE, doit être à la fois ajusté et maintenu. Il doit mieux bénéficier aux populations et démontrer que leur bien-être nous tient à cœur. Et c’est aussi en cela que le contraste avec le groupe Wagner ne peut être plus criant : non seulement il commet des abus et des exactions indicibles mais son intérêt exclusif est l’exploitation des ressources naturelles et des gains de court-terme.

C’est aussi pour cette raison, et je devrais peut-être dire « malgré tout »,  qu’il faut maintenir le dialogue avec les Burkinabé. C’est également avec cet objectif qu’il faut renforcer notre lutte contre la désinformation.

Par ailleurs, il est positif que la communauté internationale ait commencé à soutenir de manière accrue les pays côtiers du golfe de Guinée. La Belgique y apporte sa part, que ce soit à travers l’Union européenne ou en bilatéral au Bénin.

L’adoption prochaine de notre stratégie Sahel n’est pas une fin en soi. Nous poursuivrons nos consultations étroites avec nos partenaires et les différentes parties prenantes, comme nous le faisons aujourd’hui. La récente mission belge au Niger en est un autre exemple.

Je voudrais conclure en réaffirmant que la Belgique entend poursuivre son engagement au Sahel. La pauvreté, le changement climatique, la migration irrégulière, l’insécurité, la croissance démographique, la violence et une meilleure gouvernance sont autant de défis qui nécessitent notre action collective en appui aux pays de la région, et ce, de manière globale.

Je vous remercie.