Interview SudPresse: « Collectivement, on est plus fort qu’on ne le croit »
Première ministre quand la crise a éclaté, Sophie Wilmès avoue avoir eu des moments de découragement.
C’était il y a un an. Sophie Wilmès annonçait aux Belges un confinement généralisé. Une situation exceptionnelle, des mesures exceptionnelles, dont certaines perdurent encore 12 mois après et impactent encore des secteurs, des travailleurs, des étudiants, et laisseront des stigmates dans leur CV et dans leurs tripes. Nous avons voulu revenir sur ce mois de mars 2020 si particulier avec l’ex-Première ministre, sur son vécu et son ressenti de ces annonces qui ont ébranlé tant de citoyens. Et partir à la rencontre de ceux qui subissent encore de plein fouet, physiquement, moralement, et économiquement, cette crise sans précédent.
Il y a un an, vous annonciez le confinement du pays. Imaginiez-vous que l’on entrait dans un tunnel aussi long ?
Non, je ne m’y attendais pas du tout. Quand on se retourne un an plus tard, on a parfois tendance à réécrire l’histoire, ce qui n’est jamais une bonne idée. Il y a un an, on a dû prendre des décisions dans l’urgence, avec énormément d’inconnues. On savait que le lockdown, la limitation des libertés, étaient nécessaires mais on n’avait pas le niveau de connaissances fines qui permet de savoir ce que cela va donner et combien de temps la crise va durer. Oui, je me souviens physiquement de ce qui a été dit, où j’étais assise. Il y avait la pleine conscience de la gravité et de l’importance du moment mais sans développer d’émotions personnelles, dans le sens où il n’y a pas le temps pour cela. Vous ne pouvez pas prendre du recul pour de l’introspection, juste pour prendre les bonnes décisions au bon moment, et encore avec les connaissances que vous avez à ce moment-là.
Et on a le temps de vivre des moments de découragement ou cela n’est pas non plus possible ou permis ?
Heureusement que l’on vit parfois des moments de découragement ! Ne pas avoir le temps de l’introspection ne signifie pas se départir de son humanité. Cela dit, il y a une différence entre un moment de découragement et être vraiment découragé ; cela, on ne peut pas se le permettre. Ce n’était pas agréable, mais je me devais d’accueillir favorablement ces émotions négatives, car c’est tout cela qui fait de moi quelqu’un d’humain. On ne gère pas ce genre de crise comme un robot mais on ne s’attarde pas sur soi, on n’est pas là pour ça.
Que dites-vous à ceux qui reprochent la deuxième vague aux assouplissements décidés par le gouvernement Wilmès en septembre dernier ?
Beaucoup de choses qui ont été dites étaient intellectuellement et factuellement inexactes. En septembre, la stratégie a été identique à celle que l’on a suivie en octobre, en novembre, lorsque l’on est passé du code jaune au code orange, puis rouge. On peut dire, après coup, que cette stratégie développée par les experts n’était pas la bonne mais toute l’Europe a connu une deuxième vague. Je regrette parfois la rapidité de certaines analyses a posteriori, pas tant parce qu’elles sont désagréables, mais je pense qu’elles empêchent de faire la bonne analyse de ce qui s’est passé réellement : à quels indicateurs on doit se fier et comment y répondre le plus vite possible. Cela ne signifie pas que ces décisions ne peuvent être critiquées. Bien sûr que l’on peut critiquer.
Et vous n’avez jamais eu envie de réagir à tout cela ?
Oui et non. J’ai répondu à certaines questions mais n’oubliez pas que cette analyse s’est fortement développée pendant ma maladie. C’était difficile pour moi de remettre le pot droit immédiatement, je n’étais pas en capacité de le faire. Mais je reconnais que s’il y a eu à ce point la conviction que l’on était dans un assouplissement majeur, c’est que quelque chose n’a pas marché dans la com. Dès le lendemain, en séance plénière, je rappelais : attention, ici, il s’agit de cohérence, de remettre à plat, de travailler sur la situation telle qu’elle était alors en code jaune, mais cela ne nous empêchera pas d’aller plus fort, plus vite dès que ce sera nécessaire.
Cette crise vous fait toujours peur ou l’on est enfin sur le point de la maîtriser ?
Peur n’est pas le mot, mais je ne suis pas encore rassurée à cent pour cent. Les certitudes d’aujourd’hui ne sont pas celles de demain. Il faut beaucoup d’humilité (…) Et puis, soyons de bon compte : qui aurait pensé que l’on aurait déjà cette capacité de vacciner aujourd’hui ?…
… Alors que pleuvent les critiques sur la lenteur de la vaccination ?
À un certain moment, on parlait du deuxième trimestre 2021, de mars, mais plutôt de juin. Il y a même eu un moment où l’on ne savait pas si un vaccin allait voir le jour. Quand la réalité est meilleure que la supposition, on doit pouvoir s’en réjouir.
En quoi cette année passée au 16 vous a changée ?
Pas tant le fait d’avoir été Première ministre, mais de l’avoir été à ce moment-là. Cela nous a probablement tous changé un peu. La position que j’ai dû prendre a eu un grand impact sur moi. Comme toute épreuve, j’essaie d’en tirer du bénéfice et de grandir. J’ai peut-être perdu une part de ma naïveté, mais je reste confiante en l’avenir.
Y a-t-il des choses admirables dans la manière dont les citoyens ont traversé la crise ? D’autres qui vous ont agacée ?
Ce que l’on a tant mis en évidence au début et plus vraiment aujourd’hui : cette solidarité entre les Belges. Cela a été exceptionnel. Elle existe toujours mais on ne sent plus le besoin de la mettre en évidence, c’est dommage. Je ciblerais la créativité aussi. Les familles, les entrepreneurs qui ont réussi à aller chercher dans l’adversité des moments de joie et des projets. Nous sommes plus forts que nous le croyons, en tant que collectivité, j’entends. On ne le dit pas assez autour de nous. Par contre, j’ai un peu plus de mal avec les jugements qui sont nombreux. On a imposé beaucoup de choses à la population. On leur a dit ce qu’ils pouvaient faire ou pas, presque qui ils pouvaient voir. C’est assez dingue. Tout le monde a fait des efforts et il faut le souligner.
Vacances : toujours des inconnues
Il y a des crispations entre l’Europe et la Belgique sur les voyages non essentiels. Ou au sujet d’un « pass numérique » pour les voyages : doit-on craindre pour nos vacances ?
Tout finira par rentrer dans l’ordre et plus vite on retrouvera nos libertés, mieux ce sera. Cela voudra dire que la situation sanitaire le permet. Mais il ne faut pas inverser le raisonnement : d’abord, on doit être libre et on doit pouvoir restreindre les libertés s’il n’y a pas d’autre solution. Donc, on doit chaque fois réfléchir à cette protection de nos libertés fondamentales en étant conscients que l’on ne peut pas faire tout et n’importe quoi. Il faut être prudent mais le raisonnement doit être ressenti par la population pour qu’il n’y ait pas un sentiment d’injustice par rapport aux règles prises. C’est aussi cela qui fait que l’on est en phase avec les règles, parce qu’on les comprend et que l’on a confiance. C’est une question d’adhésion pour faire en sorte que l’on ne se retrouve pas dans une situation de propagation incontrôlable du virus, mais cela aide aussi les émotions, la santé mentale, le niveau psychologique des gens. À situation égale, vous ne ressentirez pas les choses de la même façon si vous les pensez justes et justifiées que si vous ne le ressentez pas comme ça. Il faut bien faire comprendre que ce n’est pas un choix, c’est une contrainte de devoir limiter des libertés.
Cela signifie que vous ne pouvez pas rassurer les Belges à propos de leurs vacances ?
Personne ne sait le dire. Depuis le début de la crise, on a toujours dit : « Si tout se passe bien, on pourra faire ceci ou cela ». Donc, il n’y a jamais de certitude. Il y a une volonté de retourner au plus vite à nos libertés et de répondre à cette volonté de pouvoir voyager car cela fait partie de nos grands équilibres, c’est une aspiration légitime. Comme de se retrouver en famille, de récupérer ses contacts sociaux. Tout est parfaitement légitime.
« Plus attentive au Covid long »
Sophie Wilmès a, elle-même, été sérieusement touchée par le virus. Cela a-t-il changé sa façon de voir les choses ?
« C’est une évidence, mais cela n’a pas changé ma façon de gérer la crise ; j’ai toujours plaidé pour qu’elle soit gérée dans tous ses aspects : sanitaire, économique, psychologique. Cela n’a pas changé non plus mon regard sur le personnel soignant. Il ne faut pas attendre d’être aux soins intensifs pour savoir que l’on a la chance d’avoir un personnel dévoué et professionnel. Par contre, cela a certainement eu un impact sur moi mais je n’en ai pas encore tiré toutes les conclusions. »
Cela a naturellement été un moment difficile de sa vie familiale.
« J’ai des enfants qui ont dû vivre les infos à travers la presse. Quand cela les touche, cela vous touche (...) Heureusement, je suis parfaitement rétablie mais les séquelles peuvent être longtemps handicapantes. Cela a peut-être généré chez moi une attention plus accrue à propos de la prise en charge du Covid long. Si je dois y voir un aspect positif, c’est ça… Vous savez, on va très loin dans l’engagement et à un moment, il y a le Covid, il y a la santé et des choses qui sont aussi importantes à prendre en considération. »
Interview Didier Swysen
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