Contexte

Interview 'Het Laatste Nieuws': "Je ne comprends vraiment pas pourquoi les sanctions pour les chômeurs restent taboues"

* Libre traduction * 

 

Sophie Wilmès (MR) nous a surpris cette semaine. La Vice-Première ministre, toujours calme et sereine, a quitté  les négociations budgétaires nocturnes. Et aujourd'hui encore, elle n’est pas contente  quand elle repense à la mesure dont le PS n'a même pas voulu parler : sanctionner les chômeurs de longue durée qui refusent une formation. "Il y a 150 métiers en pénurie. Ne me dites pas que, parmi ceux-ci, aucun n’est digne d’intérêt!"

Sophie Wilmès, qui est non seulement Vice-Première ministre pour le MR mais aussi ministre des Affaires étrangères, bâille un instant. "Désolée, désolée !" Elle a à peine dormi la semaine dernière. En tant que journaliste, on entend régulièrement dire que Wilmès est une vraie négociatrice à la table des négociations qu'il ne faut pas sous-estimer, mais c'est une Wilmès que vous et moi avons rarement l'occasion de voir. Jusqu'à maintenant. Était-ce la fatigue ? Ou bien voulait-elle mettre un terme aux insinuations selon lesquelles elle faisait une scène uniquement parce que le président Bouchez la fredonnait à l'oreille ? Dans tous les cas : Wilmès était et est toujours 'on fire'.

Pourquoi avez-vous quitté la table lundi soir ? 

"Lors d'une négociation budgétaire, il y a toujours des moments où les tensions sont fortes. En effet, je me suis battue pour ne pas éroder la mesure selon laquelle les entrepreneurs ne doivent pas payer de cotisations de sécurité sociale pour leur premier salarié. Ma proposition, qui a finalement été acceptée, s'attaquait aux abus, mais ne touchait pas le cœur de cette bonne mesure. Et c'est important, car cela a un impact sur 50 000 personnes dans le commerce, la construction, le secteur de l’horeca - tous les secteurs qui ont été très durement touchés par la crise du corona. Les pénaliser maintenant, c'est non!"

Pourtant, tant le Bureau fédéral du Plan que la Cour des Comptes ont déjà déclaré que cette mesure est peu utile et n'a pas permis de créer des emplois. Les partenaires sociaux - y compris les employeurs - ont même convenu qu'elle pouvait être réduite de manière substantielle. Pourquoi voulez-vous être plus généreuse que ce que demandent les employeurs ? 

"C'est le gouvernement qui décide, pas les partenaires sociaux. L'organisation des indépendants UCM s'est prononcée très clairement contre le démantèlement de cette mesure et nous en avons également tenu compte. Vous ne pouvez pas soudainement - en pleine reprise - changer le business model de tous les entrepreneurs qui comptent sur cette mesure. Nous en reparlerons probablement, mais le compromis auquel nous sommes parvenus - plafonner le montant pour éviter les abus - est une bonne chose."

Mais pourquoi ce soutien devrait-il se poursuivre indéfiniment ? À long terme, cela coûte 1 milliard d'euros par an.

"Voulez-vous parler de cette mesure tout au long de l'entretien ? (rires) Ce n'est pas la raison pour laquelle le budget a déraillé. Je regarde toujours comment les dépenses évoluent, mais j'aimerais qu’on ait le même regard pour tous les autres postes de dépenses qui ne cessent d'augmenter, sans créer d'emplois."

Il y a aussi eu beaucoup de bruit autour de la mesure que votre président a insisté pour introduire : obliger les chômeurs de longue durée à se former à un métier en pénurie. Les personnes qui refusent perdront une partie de leurs allocations.

"(Agitée) Ce n'est pas la mesure du président du MR, c'est une mesure du MR. C'est aussi ma position, et je la défends à la table. En Belgique, nous avons 300 000 emplois et 150 000 emplois vacants pour des métiers en pénurie. Quelle était notre proposition ? Si vous êtes au chômage depuis deux ans (montre les doigts) - deux ans, hein ! - et nous vous demandons deux fois - deux fois - de vous former pour un métier en pénurie...  Allez, il y a 150 métiers en pénurie, ne me dites pas qu’aucun de ceux-là ne sont dignes d’intérêt. Eh bien, si vous refusez toujours, nous ne devrions plus seulement dire : "Je pourrais vous sanctionner". Non, nous devons pouvoir dire : "Je vais vous sanctionner !". Je ne comprends vraiment pas pourquoi nous ne sommes pas d'accord sur ce point."

Et il n'y avait aucun moyen de convaincre le PS de cela ?

"Non, aucun ! Chacun a son idéologie, bien sûr, mais c'est tellement élémentaire ! Dans la société, il existe des sanctions dans tous les domaines pour les personnes qui ne veulent pas suivre les règles. Je ne comprends vraiment pas pourquoi on continue à s'y refuser avec autant d'obstination dans le domaine du chômage."

D'autre part, le fait que votre président ait publiquement montré ses muscles au préalable n'était pas non plus le meilleur moyen de convaincre le PS. Le ton était : nous allons les sanctionner, ces chômeurs paresseux.  

"Écoutez, la majorité des gens au chômage coopèrent, mais il y a toujours des gens qui ne veulent pas jouer le jeu. Quiconque croit - ou fait semblant de croire - que tout le monde est toujours de bonne volonté est aveugle à la réalité."

Pensez-vous que le gouvernement atteindra un taux d'emploi de 80 % sans ces mesures ?

"Pour être clair, je défends l'accord auquel nous sommes parvenus, ce sont de bonnes mesures. Mais je reste également fidèle à ma conviction fondamentale. Je pense que cela aurait été mieux si nous étions allés encore plus loin. Malheureusement, cela n'a pas été possible, mais ce n'est pas non plus le dernier conclave budgétaire. Nous devrons prendre d’autres mesures à l'avenir."

Votre parti s'est fermement opposé à la suppression de l'avantage fiscal pour les deuxième, troisième et quatrième résidences. Pourquoi une deuxième résidence devrait-elle encore être favorisée - surtout maintenant que le bonus logement pour la première habitation a été supprimée ?

"Pour beaucoup de personnes, une résidence secondaire est un investissement pour leurs vieux jours. Devrions-nous soudainement augmenter les impôts au niveau fédéral parce que quelques régions décident de limiter l'avantage pour la première habitation sans consultation ?"

Mais il doit y avoir une certaine logique dans la politique ? Votre parti gouverne également en Wallonie.

"Et nous ne gouvernons pas à Bruxelles. Je suis au niveau fédéral. Si on veut, on peut revenir à un gouvernement fédéral qui prend des décisions pour tout le pays. Mais aujourd'hui, il s'agit de compétences partagées. Je suis personnellement très favorable à ce que la première maison soit moins taxée au niveau régional, mais ce n'est pas pour autant qu'il faut supprimer une bonne mesure au niveau fédéral."

Revenons un instant sur l'opération de d’évacuation de l'Afghanistan. Combien de personnes figurant sur la liste belge attendent toujours d'être évacuées aujourd'hui ?

"Nous sommes en contact avec 68 personnes qui veulent encore partir et nous essayons de les mettre sur des vols pour Doha. Le Qatar les organise pour les personnes qui ont des papiers. Nous leur en sommes très reconnaissants, mais ce n'est pas si simple. Tout d'abord, ces vols doivent pouvoir avoir lieu. Cela fait un mois que l'on nous annonce la réouverture de l'aéroport, mais pour l'instant nous constatons que le nombre de vols est très limité et qu'il y a encore beaucoup de problèmes."

Et qu'en est-il des personnes qui n'ont pas les bons papiers ? Les Afghans qui ont travaillé pour la Défense, par exemple, et qui risquent maintenant d'être pris pour cible par les talibans ?

"La Défense est actuellement en pourparlers avec le Secrétaire d'État à l'Asile et à la Migration (Sammy Mahdi, CD&V, ndlr) pour voir comment nous pouvons leur fournir des documents pour quitter l'Afghanistan. Normalement, vous vous adressez à l'ambassade, mais la nôtre est au Pakistan. Un autre point est l'assistance consulaire que les Affaires étrangères proposent : légalement parlant, elle est réservée aux Belges et aux ayants droit. En principe, elle n'est pas destinée aux personnes qui veulent émigrer dans notre pays. Si nous voulons faire plus, il faut une décision du Kern et une adaptation des textes légaux. Mais le premier obstacle, ce sont les papiers : sans papiers, ils ne peuvent pas partir. Pour aller au Pakistan voisin, ils ont besoin d'un visa ou d'une garantie de notre part que ces personnes se rendront en Belgique. Le Pakistan a déjà connu un énorme afflux de réfugiés, il veut donc être sûr que les personnes qu'il laisse entrer quitteront son territoire. Mais pour donner cette garantie, le cabinet-Mahdi veut bien sûr d'abord évaluer leur dossier. Une fois que ce sera fait, nous verrons comment faire en sorte que les choses se passent encore mieux.”

L'UE devra-t-elle aussi, à un moment donné, négocier avec les talibans pour faire revenir les gens ?

"J'ai moi-même déjà demandé qu'un bureau européen - pas une ambassade ou un consulat, bien sûr, mais plutôt un bureau humanitaire - soit installé à Kaboul dès que la sécurité de la représentation pourra être garantie. L'Europe aurait alors une vue d'ensemble de la situation sur le terrain et pourrait coordonner les retours à partir de là pour les différents pays, car certains ont encore des milliers de personnes à ramener. Une représentation à Kaboul serait donc une bonne étape pour cette opération, mais aussi pour entamer un dialogue avec les Talibans pour des raisons opérationnelles. Cela ne signifie pas que nous allons reconnaître ce régime, mais nous voulons avoir le plus d'influence possible sur les droits humains, les droits des femmes et les droits des enfants dans ce pays. Il y a 40 millions de personnes qui y vivent. Nous ne pouvons pas leur tourner le dos."

Interview met Astrid Roelandt

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