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Carte blanche de Hadja Lahbib | La Belgique entre au Conseil des droits de l’Homme

Il y a des rencontres qui marquent une vie, la dernière fois pour moi c’était en décembre dernier, à l’occasion d’un atelier de réflexion mené avec la société civile afghane sur l’avenir de l’Afghanistan. Parmi les femmes qui avaient fait le déplacement, l’une d’entre elles - appellons-la Mahboba - était clairement en danger mais tenait à retourner à Kaboul pour continuer à lutter pour le droit des femmes sur le terrain.

Aujourd’hui, environ 19 millions de femmes afghanes sont confrontées à une réalité particulièrement dure et à un avenir incertain. Pour elles, plus encore que pour les hommes, le recul de leurs droits après 20 ans de progrès est dramatique. Malgré les risques qu’il y a à témoigner publiquement même dans un autre pays, Mahboba et d’autres femmes, nous ont décrit comment, il y a seulement deux ans, elles avaient l'habitude de prendre leur vélo pour aller à l'école ou au travail, de prendre un thé entre amies, de chanter et de danser à l’occasion de fêtes et de mariages. Elles se sentaient libres et joyeuses. Aujourd'hui, elles n'ont plus le droit d’aller à l’école secondaire, à l'université, ou d'exercer les métiers qu'elles aiment. Certaines d'entre elles travaillaient pour des ONG, étaient journalistes, médecins, gouverneures, députées ou ministres. Ce que la plupart d'entre elles font maintenant, nous ont-elles dit, c'est rester à la maison et ne rien faire, "comme un oiseau en cage". Beaucoup d'entre elles ont le sentiment que les talibans leur ont tout pris. Leurs habitudes, leur créativité, leurs plaisirs, leur avenir, leur vie.

Plus de la moitié de la population mondiale vit dans des pays où les droits politiques et civils ne sont pas respectés. De l'Afghanistan à l'Iran, de la Russie à la Chine, la pression sur les droits humains augmente partout. En Europe aussi, comme j’ai pu le constater lors d’une récente rencontre avec des groupes de défense des minorités et des groupes de réflexion en Hongrie.  Même dans notre pays, les forces antidémocratiques gagnent en influence. Il n'y a aucun doute là-dessus : la Belgique et l'Union européenne ne peuvent se permettre de rester les bras croisés alors que des régimes autoritaires tentent d'imposer leur volonté sur la scène internationale.

Défendre le respect des droits humains, c'est œuvrer à un monde meilleur. L'agression russe contre l'Ukraine aurait-elle eu lieu si la liberté d'expression et d'association était respectée en Russie ? Y aurait-il encore des milliers de Syriens ou d'Afghans fuyant chaque mois vers l’Europe si les droits humains étaient garantis dans leur pays d'origine ?

Aujourd'hui, à Genève, le Conseil des droits de l'Homme entame une nouvelle session. Pour les trois prochaines années, la Belgique en sera membre, pour la troisième fois de son histoire. Le Conseil des droits de l'Homme est un lieu, peut-être le lieu par excellence, où s'affrontent partisans et adversaires des droits humains. C'est pourquoi il est important que la Belgique prenne ses responsabilités, pèse dans les débats et contribue au plus grand consensus possible.

Le Conseil a plusieurs fonctions : c'est un baromètre qui prend le pouls des derniers développements en matière de droits humains. C'est aussi un lieu qui a pour objectif de prévenir que certaines atrocités ne se reproduisent. Le Conseil a été créé notamment en réponse au génocide au Rwanda et aux guerres en ex-Yougoslavie. Grâce aux nombreux rapporteurs spéciaux de l'ONU, l'attention est attirée sur les abus dans le monde entier.  En nommant un rapporteur spécial ou une commission d'enquête, le Conseil a des yeux et des oreilles sur le terrain. Les preuves recueillies peuvent ensuite être utilisées dans le cadre de procédures pénales. La surveillance internationale a un effet dissuasif avéré.

L'agilité est l'un de ses atouts. En cas de situations d'urgence et de violations des droits humains à grande échelle, le Conseil des droits de l'Homme peut se réunir en session extraordinaire. C'est ce qui s'est produit ces derniers mois à propos de l'Éthiopie, de l'Afghanistan, du Myanmar, de la Palestine, du Soudan, de l'Iran et de l'agression russe contre l'Ukraine. Comme aucun pays ne dispose d'un droit de veto, le Conseil des droits de l'Homme fait de plus en plus office de frère dynamique d'un Conseil de sécurité souvent paralysé.

Au cours des trois prochaines années, la Belgique travaillera au sein du Conseil pour promouvoir et protéger tous les droits humains, dans leur unité et leur indivisibilité. Nous nous efforcerons de lutter contre les discriminations, notamment à l'encontre des femmes et des filles.

La défense de la société civile et des défenseurs des droits humains est également une de nos priorités : aujourd'hui, la Belgique réunira des avocats de différents pays, qui sont spécifiquement actifs dans cette juste cause. Dans de plus en plus de pays dans le monde, nous constatons un déficit de protection des avocats dans l'exercice de leurs fonctions. Il faut faire davantage pour les protéger.

La crédibilité de nos actions au Conseil dépend aussi de nos actions chez nous, en Belgique et dans l'Union européenne. Le droit des femmes à prendre des décisions autonomes concernant leur propre corps ou les retards dans l'adoption d'une stratégie interfédérale sur le racisme sont autant d'aspects que le monde extérieur remarque. C'est lorsque le respect des droits humains est assuré en Belgique et dans l'UE que notre voix est la plus crédible au Conseil. La Belgique s’engage à veiller à la cohérence entre son action internationale et le respect des droits humains à l’intérieur de ses frontières.

Et justement, en cette période charnière pour les droits humains, il est primordial de pouvoir parler avec autorité. De parler haut et fort. Car nous ne pouvons pas rester silencieux face à ce que les gens subissent dans des pays comme l'Afghanistan, l'Iran ou ailleurs. Nous ne pouvons pas leur donner l’impression qu'ils sont seuls.

Les droits humains sont universels, nous devons les défendre partout, avec la même force, la même conviction, en Belgique comme ailleurs dans le monde.

Hadja Lahbib, Ministre des Affaires étrangères, des Affaires européennes, du Commerce extérieur et des Institutions culturelles fédérales